N’ATTENDEZ PAS TROP DE LA FIN DU MONDE

de Radu Jude

Si l’expression n’était pas galvaudée voilà un film-évènement, le plus corrosif qu’il ait été donné de voir depuis des lustres.

Dans la Roumanie d’aujourd’hui régie par une économie capitaliste néolibérale, Angela, jeune assistante de production pour le compte d’un multinationale parcourt les quartiers à l’abandon de Bucarest dans sa voiture au milieu des invectives des automobilistes et le concert de klaxons. Elle se rend auprès de victimes d’accident du travail, les filme racontant leur drame, leur récit à tous se terminant sur un message vantant la nécessité de la prévention et la nécessité de se conformer aux règles de sécurité. Un des participants sera sélectionné puis invité moyennant rémunération à témoigner devant une équipe plus étoffée.

Scandant ces séquences, comme dans un esprit de résonance, le réalisateur introduit celles tournées 40 ans plus tôt dans une fiction de Lucian Bratu Angela va plus loin (1981), où une autre Angela parcourt en tant que chauffeur de taxi les rues de Bucarest (situations et décors équivalents) du temps du dictateur Ceausescu. Le noir et blanc des scènes d’aujourd’hui s’oppose aux couleurs vintage du passé.

Parallèlement Angela, comme pour s’assurer la reprise de son souffle, envoie sur Tik-Tok des vidéos de son avatar nommé Bòbita qui déversent des outrances misogynes d’une vulgarité sans nom.

Un film hors-normes, totalement libre et complètement maîtrisé. Ce film porte une colère sourde, un point de vue affirmé et un constat terrible. La scène finale, un long plan séquence est un moment exceptionnel cinéma, à la fois absurde, comique et tragique. Quelque chose d’un certain état du monde se cristallise alors devant nos yeux, sa fin peut-être ?

Le festival de Locarno (2/12 août 2023) a attribué à  Radu Jude le Prix spécial du jury.

Pour les jours et horaires de projection cliquer en haut de la page sur NOS PROGRAMMES/CINÉMA VICTORIA