PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

de Albert Serra

Monsieur de Roller est Haut Commissaire de la République sur l’île de Tahiti en Polynésie française. Manières parfaites, lunettes foncées, costume couleur ivoire dont il boutonne et déboutonne la veste croisée sur un corps alourdi, il parcourt sans cesse tous les lieux de l’île, du bar interlope (Le Paradise Night) aux spots de surf, d’une salle de répétition de danse à de somptueuses bâtisses ou de simples farés le long des plages. Il s’intéresse à tout, il a le mot juste pour tous, il sait manier la langue de bois comme personne, de propos officiels en blagues lourdaudes il assure tout le monde de son aide, le sportif qu’il faudra sponsorisé, l’entrepreneur qui veut bâtir un hôtel, l’écrivaine nationale en visite et en recherche d’inspiration, un maire sortant et un nouvel élu, une troupe de danseurs, un amiral fantasque … Il est là, représentant de l’Etat, pour maintenir la paix sociale dont on sait qu’elle est précaire.

Pourtant au milieu de paysages d’une fulgurante beauté, lagons, flamboyants, couchers de soleil, montagnes aux reliefs acérés, au milieu d’un calme apparent, planent des rumeurs sur l’éventuelle reprise d’essais nucléaires dont le Haut commissaire est informé par un jeune loup politique local, autonomiste plus ou moins manipulé par des "agents étrangers" aux attitudes ambiguës et inquiétantes. Il y a quand même un sous-marin aperçu au large et des mouvements de barques véhiculant des prostituées…

Albert Serra met en scène un film de bout en bout dominé par un Benoît Magimel tout bonnement extraordinaire, impérial. Il se veut non déstabilisé, visage confiant et respirant l’intelligence, expert dans le maniement de la manipulation et la sournoiserie. C’est l’homme sans faille qui sait prévenir les coups bas et sait mettre quand il faut la pression mais se laissera peu à peu gagner par la paranoïa.

Il fallait ce long film de 2h45 pour que le spectateur s’imprègne des tenants de cette histoire à la fois thriller politique, récit psychologique, prenne le pouls véritable de cette ambiance faite de moiteur, d’engourdissement, d’envoûtement, savoure les caresses de la caméra sur les corps d’éphèbes magnifiques, les vahinés et les travestis d’où émerge le personnage de Shannah (Pahoa Mahagafanau), personnage trans autochtone issue d’une tradition de l’île, se laisse gagner par cette splendide geste crépusculaire.

Attention: le film n’est projeté que 4 fois dans la semaine.

Pour les jours et horaires de projection cliquer sur la rubrique

NOS PROGRAMMES/CINEMA VICTORIA en haut de la page.